Mercredi 29 février 2012 à 17:58

 

CULTURES ET CIVILISATIONS MÉDIÉVALES



Le texte médiéval

De la variante à la recréation

(dir.) Cécile Le Cornec RocheloisAnne Rochebouet et Anne Salamon

 

Face à la conception d’une œuvre fixée et reproductible à l’identique, née avec l’imprimerie, la mobilité du texte apparaît comme une caractéristique de la production médiévale. La circulation de l’œuvre dans l’espace et dans le temps, d’un manuscrit à l’autre, d’un dialecte à l’autre, d’une langue à une autre sont autant de facettes de ce phénomène, depuis ses plus petites manifestations, à l’échelle des graphies ou du lexique, jusqu’à l’agencement général d’une œuvre ou d’un recueil.

Qu’on utilise le terme de « mouvance » à la suite de Paul Zumthor ou celui de « variance » selon l’expression de Bernard Cerquiglini, les fluctuations de la langue et des textes médiévaux ont depuis longtemps suscité l’intérêt des chercheurs. Cet ouvrage se propose de faire le point sur l’étude de la variation dans les travaux contemporains et de réfléchir à l’importance et au sens à accorder à cette instabilité en combinant diverses approches, tant philologiques, lexicographiques et littéraires que codicologiques ou iconographiques.

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02/03/2012
16x24
282 p.

ISBN : 978-2-84050-798-7

Prix 

Nouveauté ! : 18 Euro(s)

Mercredi 29 février 2012 à 17:41

 Clôture des comptes facebook. Reprise du réflexe "blog" en dépit du peu de lecteurs qui s'intéresse  à ces écrits.
Peu importe, on écrit principalement pour soi pas vrai ? J'aime la rédaction "à chaud" et la publication instantanée, quand bien même je ne suis que l'unique lectrice de ces articles.
En route vers les oraux du CAPES de lettres modernes...

Mardi 28 février 2012 à 1:46

 "Un rêve"




Aloysius Bertrand est considéré comme l'inventeur avoué du poème en prose, forme poétique débarrassée de la contrainte du vers au sein de laquelle la création d'un rythme s'accomplit par l'exploration du langage « usuel ». 
 
Dans son œuvre Gaspard de la nuit (1842), le poète s'ingénie à « peindre en prose des fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot » (sous titre du recueil) et nous propose, dans le troisième livre, « la nuit et ses prestiges », le poème « un rêve » qui mêle le prosaïque au poétique. Comme nous l'indique le titre thématique, ce poème s'inscrit dans le registre onirique et instaure, à travers l'accumulation de thèmes gothiques, un monde fantastique encore emprunt de romantisme. Dans l'inauguration du genre du poème en prose, le rêve, topique récurrente du romantisme prend ainsi place à travers la triple inscription du motif de la nuit (titre de l’œuvre, titre du livre III et titre du poème).
 
Dans ce poème clos et syntaxiquement uniforme, le « je » du poète raconte son rêve au travers d'une structure temporelle paradoxale qui tend à en rationaliser les éléments pourtant susceptibles, par définition, d'échapper à tout système logique : l'incohérence du rêve est alors rendue logique par la structure temporelle du poème en prose d'abord énumérative dans les trois premiers paragraphes et qui fonctionne par resserrement progressif, de l'évocation du rêve, au moment où le poète s'en échappe (3e paragraphe) et jusqu'à l'affirmation du « moi » poétique. (4-5 paragraphes)
 
lecture 
 
Nous étudierons ainsi comment la forme nouvelle du poème en prose réinvestit le romantisme à travers les topiques de la nuit et du rêve. 
 
 
 
- L'épigraphe tirée de Gargantua instaure d'emblée un code de lecture entre le poète et le lecteur et renseigne ce dernier sur l'aspect irrationnel du rêve.
 
- Le décor du rêve, effrayant, est cadré dès le premier paragraphe par l'utilisation du thème gothique à travers un système rythmique régulier en 4-4-4-4 qui peint un paysage sombre, coincé entre nature et culture (« abbeye », « murailles ») dépourvu d'action. 
 
- Le poète passe de l'imparfait de l'indicatif qui décrit le rêve (accentué par le pronom « il ») à un récit au passé simple qui tend à le rationnaliser. 
 
- Nous entrons dès lors dans le domaine du conte : le poème en prose raconte un événement imaginaire de manière hiérarchisée comme en attestent la présence du poète-conteur « je » et les connecteurs temporels : « d'abord » et sa suite attendue, « ensuite » et « enfin » sur le schéma d'un texte argumentatif. 
 
- Les interventions du poète, à travers la double structure anaphorique (horizontale et verticale) - ainsi je [...] ainsi je -, s'articulent autour des jeux de temporalité du poème par l'alternance entre passé composé et présent afin de montrer que le rêve ne se situe pas entièrement dans la réalité ; le passé composé évoque ainsi une action accomplie que l’on situe dans un passé ici atemporel alors que le présent permet d'établir une parole poétique métalinguistique sur le plan sémantique (« ainsi je raconte »)
 
- Les événements effrayants participent de la mise en place d'un cadre mystérieux par la personnification de la « lune », complément d'agent (« une abbaye aux murailles lézardées par la lune ») sémantiquement incohérent avec les « murailles lézardées » et rappellent l'influence encore très pregnante du romantisme allemand dans ce poème.
 
- La forêt se présente comme un élément naturel hostile comme le montrent les termes « percée » et « tortueux » qui évoquent la souffrance (« tortueux » vient de « tordre ») et les  allitérations des dentales [t] (« sentiers tortueux »). 
 
- La première phrase du poème en prose joue donc sur les effets d'accumulations et de précision (par la présence, entre autres, de nombreuses prépositions) sans pour autant donner d'indications d'action. 
 
- Le narrateur semble déambuler dans un monde inquiétant et la gradation des images tirées du goût romantique pour les ruines médiévales fait que le rêve présente une situation spatiale à la fois précise (Morimont) et floue, qui accentue l'aspect inquiétant du cadrage spatial et du paysage rêvé au sein duquel rien ne bouge. 
 
- La métonymie finale « capes et chapeaux » établit d'ailleurs un jeu d'écho lié à l'obscurité entre les deux termes et s'attache à n'évoquer que des référents indisctincts. 
 
 
 
- Le récit continue dans le deuxième paragraphe et la cohérence de ton avec la premieère phrase du poème se retrouver à travers le connecteur temporel « ensuite » et l'emploi du passé simple. - Le poète prend garde d'établir des échos entre les paragraphes et rationnalise par la structure hierarchisée du poème en prose, un rêve qui devrait pourtant échapper à toute rationnalisation. 
 
- Le conteur insiste cette fois-ci sur la perception sonore du rêve (« ainsi j'ai entendu ») : la nature participe à ce que perçoit le narrateur et la « cloche » fait écho à une « cellule » mystérieuse qui correspond par métonymie au prisonnier ou au moine évoqué dans la suite du poème. 
 
- Ce mystère instaure plusieurs points de résistance au sein du poème en prose et la discordance entre les éléments perçus accentue l'idée de malaise qui s'en dégage à travers d'une part, le jeu d''impropriété due à la personnification de la « cellule » qui pleure et d'autre part l'adjectif « funèbre » (évoqué deux fois) qui ne s'intègre pas dans la système sonore de la phrase (qui constitue le deuxième paragraphe) et qui vient contraster avec la chaîne allitérative en [k] et [s]. 
 
- Cette dble allitération transforme le poème en prose en un chant à la fois auditif et visuel et les sensations (à la fois sonores et physiques) deviennent de plus en plus intenses grâce à la phrase rythmique riche en sonorités et aux images toujours indéfinies, presque sorties de nulle part. 
 
- Une troisième chaîne d'allitérations en [f] et [r] (« des rires féroces dont frissonnait chaque fleur ») concourent elles aussi à transmettre la peur et les fleurs, d'ordinaire symboles de la beauté et de la femme chez les poètes romantiques, deviennent ici des témoins apeurés. 
 
- Les accumulations d'épithètes postposées (funèbre, cris plaintifs, rires féroces, prières bourdonnantes pénitent noirs) suivis chacun d'une proposition relative « auquel répondaient les sanglots funèbres d’une cellule », « dont frissonnait chaque feuille le long d’une ramée »,  « qui accompagnaient un criminel au supplice » accentuent également l'aspect lugubre du tableau  et attestent d'une structure poétique très régulière pourtant sémantiquement impalpable. 
 
- La structure du paragraphe, qui consiste en une phrase, s'allonge alors sans que l'on ne puisse encore véritablement élucider le sens de la scène dépourvue de lien de cause à effet (ce qui suit la logique propre du rêve qui tent pourtant paradoxalement à être rationnalité par la forme même que prend le poème en prose)
 
- les « pénitents noirs », premiers êtres humains de la scène évoqués par le « je », anticipent l'évocation du moine mené au supplice sans qu'il y ait encore à cette étape du poème, particularisation des actants. 
 
- La scène est alors toujours vide d'explication et les déterminants indéfinis (« des pénitents noirs », « un criminel ») font qu'en dépit du fait que les images s'intensifient en consistance sonore et se précisent progressivement, le mystère du rêve se poursuit.
 
 
 
 
 
- Le troisième paragraphe représente le milieu du poème et présente un effet de bascule dans la mesure où le rêve prend fin : « ainsi s'acheva le rêve » 
 
- dès la fin du rêve, le poète instaure une scène au futur (temps de ce qui n'est pas rationnel) et évoque un mode prophétique qui nous fait passer à une autre modalité du rêve qui prend logiquement fin dans le réveil. 
 
- Cette fois, la référence à la vie des moines est clairement évoquée à travers la notion de « cendres » et la thématique biblique du recommencement de la vie et du « memento homo quia pulvis est... » appelle à une contextualisation chrétienne qui précise le récit du rêve  : lorsque le moine va mourir, on le met pour son humilité sur les cendres des agonisants 
 
- or, nous sommes face à un double effet de paradoxe et de surprise car une fois sorti du rêve, le poète reste encore dans l'incohérence dans la mesure où, symboliquement, les condamnés ne sont pas des criminels car le moine incarne le respect des valeurs et la jeune fille l'innocence. De fait, l'expérience du rêve reste illogique, même au réveil.
 
- Par ailleurs, l'inscription du « je » dans le poème,  qui s'identifie au rêve à travers l'inscription sonore de la chaîne allitérative en [r] et [l] dans la dernière phrase du troisième paragraphe « et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue », est de plus en plus pregnante. Chaque personnage est associé à un lieu (le moine près des agonisants, la jeune fille pendue au chêne, le « moi » du poète lié au bourreau sur la roue) et les trois suppliciés sont présentés selon la structure substantif + surbordonnée relative « un moine qui... », « une jeune-fille qui... », « et moi que... ».
 
 
 
Le 4e paragraphe, par la plus grand caractérisation des personnages du rêve, (Dom Augustin) et Marguerite (que l'on peut supposer être celle de  Faust)  fait écho aux personnages du 3e paragraphe (le moine et la jeune fille) mais l'émotion est toutefois grandissante car imprègne le poème grâce aux effets de caractérisation. On sait de qui il est question et le futur de certitude « aura » (mis en exergue par l'apposition) accentue les précisions apportées à la scène comme en atteste l'apparition des articles définis (« le prieur défunt », etc.)
 
- Le paragraphe marque un changement de ton évident qui fait glisser l'atmosphère du poème du terrifiant au rassurant. Le poète quitte les ténèbres vers la lumière avec la « blanche robe d'innocence » (nous notons l'antéposition du qualificatif, qui met en évidence l'aspect symbolique, chrétien, de la lumière qui contraste, par antithèse, avec les « pénitents noirs » évoqués aux 2e et 5e paragraphes)
 
- La concision du rythme de la phrase rend le rite funéraire (avec les 4 cierges de cire) plus solennel. 
 
- Cette solennité qui s'empare de la scène et ce changement de ton se repèrent également au travers de l'apaisement de la chaîne assonante en [a]. Le quatrième paragraphe marque ainsi un assouplissement du cauchemar au sein duquel le narrateur, proche de l'état de veille, reste paradoxalement pris au sein même de son rêve : Aloysius Bertrand met en place dans ce paragraphe un dénouement en introduisant, dans ce monde sombre, des notes de douceur par la lumière et l'assonance en [si] « cierges de cire » montre le glissement vers des sonorités plus douces. Dans cette perspective, la mort devient symbole d'une forme d'exaltation de la pureté, de l'envol vers la lumière et vers de nouvelles prières.
 
 
 
- Dans le dernier paragraphe du poème en prose, le poète se fait conteur de sa propre histoire à travers un rythme plus cadencé car sensiblement plus désespéré.
 
- La conjonction adversative « Mais » marque la rupture avec le rêve car le sort du poète est différent des autres personnages.
 
- La déshumanisation du « Moi » poétique  - romantique - prend forme autour de la barre qui frappe  et qui se voit « brisée comme un verre » ; cette action surprenante met en attente la fin du récit qui se désagrège par la plongée dans le noir et par l'hypallage (les torches des pénitents noirs qui indique que la scène elle-même est faite d'obscurité).
 
- Par ailleurs, la pluie rend la scène moins visible ; la foule s'en va et la métaphore filée de l'eau la fait disparaître dans une dimension apocalyptique qui vient apporter un point de clôture au glissement établi tout au long du poème entre le titre thématique « un rêve » et le cauchemar qu'a en réalité construit le poète. 
 
- Alors que la masse se liquéfie dans l'imaginaire qui entraîne le rêveur vers d'autres rêves (« et je poursuivais d'autres songes vers le réveil »), le poète, entièrement sorti du rêve, disparaît au moment même où l'on craignait le supplice : dans cette perspective, le réveil se présente comme la fin logique du rêve comme en atteste le soulagement évoqué dans la dernière phrase mais que le lecteur doit néamoins se représenter.
 
 
 
CCL
 
A Bertrand établit ici un tissage subtil des ressources de la prose (par le récit suivi, structuré et l'articulation temporelle de la présentation du rêve) et de la poésie (par la succession d'images, les incohérences lexicales, et les systèmes anaphoriques) à travers les images simutanées tirées de l'esthétique romantique, les nombreux échos sonores, l' aspect fluide du rêve. Le poète surinvestit ainsi le romantisme par l'emploi de tournures répétées qui rappellent la chanson médiévale ainsi que par les sonorités et la musicalité du texte permise par la forme même du poème en prose. 
 

Mardi 28 février 2012 à 1:38


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