Jeudi 8 juillet 2010 à 4:27

Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,

Et fais-moi des serments que tu rompras demain,

Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse!

 

-

 

VI


 

MON RÊVE FAMILIER


 

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,

Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent

Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse?—Je l'ignore.

Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,

Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave; elle a

L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

-

Ces vers du fond de ma détresse violente.

-

VIII


 

L'ANGOISSE


 

Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs

Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales

Siciliennes, ni les pompes aurorales,

Ni la solennité dolente des couchants.

Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants,

Des vers, des temples grecs et des tours en spirales

Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales,

Et je vois du même oeil les bons et les méchants.

Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie

Toute pensée, et quant à la vieille ironie,

L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus.

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille

Au brick perdu jouet du flux et du reflux,

Mon âme pour d'affreux naufrages appareille.

-

II


 

CAUCHEMAR


 

J'ai vu passer dans mon rêve

—Tel l'ouragan sur la grève,

D'une main tenant un glaive

Et de l'autre un sablier,

Ce cavalier

Des ballades d'Allemagne

Qu'à travers ville et campagne,

Et du fleuve à la montagne,

Et des forêts au vallon,

Un étalon

Rouge-flamme et noir d'ébène,

Sans bride, ni mors, ni rène,

Ni hop! ni cravache, entraîne

Parmi des râlements sourds

Toujours! toujours!

Un grand feutre à longue plume

Ombrait son oeil qui s'allume

Et s'éteint. Tel, dans la brume,

Éclate et meurt l'éclair bleu

D'une arme à feu.

Comme l'aile d'une orfraie

Qu'un subit orage effraie,

Par l'air que la neige raie,

Son manteau se soulevant

Claquait au vent,

Et montrait d'un air de gloire

Un torse d'ombre et d'ivoire,

Tandis que dans la nuit noire

Luisaient en des cris stridents

Trente-deux dents.

-

Tout vous repousse et tout vous navre,

Et quand la mort viendra pour vous,

Maigre et froide, votre cadavre

Sera dédaigné par les loups!

-

NUIT DU WALPURGIS CLASSIQUE


 

C'est plutôt le sabbat du second Faust que l'autre.

Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrêmement

Rhythmique.—Imaginez un jardin de Lenôtre,

Correct, ridicule et charmant.

Des ronds-points; au milieu, des jets d'eau; des allées

Toutes droites; sylvains de marbre; dieux marins

De bronze; çà et là, des Vénus étalées;

Des quinconces, des boulingrins;

Des châtaigniers; des plants de fleurs formant la dune;

Ici, des rosiers nains qu'un goût docte effila;

Plus loin, des ifs taillés en triangles. La lune

D'un soir d'été sur tout cela.

Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique

Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air

De chasse: tel, doux, lent, sourd et mélancolique,

L'air de chasse de Tannhauser.

Des chants voilés de cors lointains où la tendresse

Des sens étreint l'effroi de l'âme en des accords

Harmonieusement dissonnants dans l'ivresse;

Et voici qu'à l'appel des cors

S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,

Diaphanes, et que le clair de lune fait

Opalines parmi l'ombre verte des branches,

—Un Watteau rêvé par Raffet!—

S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres

D'un geste alangui, plein d'un désespoir profond;

Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres

Très lentement dansent en rond.

—Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée

Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,

Ces spectres agités en tourbe cadencée,

Ou bien tout simplement des morts?

Sont-ce donc ton remords, ô rèvasseur qu'invite

L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée,—hein?—tous

Ces spectres qu'un vertige irrésistible agite,

Ou bien des morts qui seraient fous?—

N'importe! ils vont toujours, les fébriles fantômes,

Menant leur ronde vaste et morne et tressautant

Comme dans un rayon de soleil des atomes,

Et s'évaporent à l'instant

Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre

Les cors, en sorte qu'il ne reste absolument

Plus rien—absolument—qu'un jardin de Lenôtre,

Correct, ridicule et charmant.

-

 

V


 

CHANSON D'AUTOMNE


 

Les sanglots longs

Des violons

De l'automne

Blessent mon coeur

D'une langueur

Monotone.

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l'heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure;

Et je m'en vais

Au vent mauvais

Qui m'emporte

Deçà, delà,

Pareil à la

Feuille morte.

-

Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit.

-

 

Plus rien que la voix célébrant l'Absente,

-

Tout en parlant avec componction de l'âme,

N'en médite pas moins ma ruine,—l'infâme!

-

Et tu trônes, Idole insensible à l'encens. -

-

NEVERMORE


 

Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice,

Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux;

Brûle un encens ranci sur tes autels d'or faux;

Sème de fleurs les bords béants du précipice;

Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice!

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni;

Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides;

Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides:

Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni;

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.

Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches!

Car mon rêve impossible a pris corps, et je l'ai

Entre mes bras pressé: le Bonheur, cet ailé

Voyageur qui de l'Homme évite les approches.

—Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches!

Le Bonheur a marché côte à côte avec moi;

Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve:

Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,

Et le remords est dans l'amour: telle est la loi.

—Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.

-

DANS LES BOIS


 

D'autres,—des innocents ou bien des lymphatiques,—

Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,

Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux!

D'autres s'y sentent pris—rêveurs—d'effrois mystiques.

Ils sont heureux! Pour moi, nerveux, et qu'un remords

Épouvantable et vague affole sans relâche,

Par les forêts je tremble à la façon d'un lâche

Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts.

Ces grands rameaux jamais apaisés, comme l'onde.

D'où tombe un noir silence avec une ombre encor

Plus noire, tout ce morne et sinistre décor

Me remplit d'une horreur triviale et profonde.

Surtout les soirs d'été: la rougeur du couchant

Se fond dans le gris bleu des brumes qu'elle teinte

D'incendie et de sang; et l'angélus qui tinte

Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant.

Le vent se lève chaud et lourd, un frisson passe

Et repasse, toujours plus fort, dans l'épaisseur

Toujours plus sombre des hauts chênes, obsesseur,

Et s'éparpille, ainsi qu'un miasme, dans l'espace.

La nuit vient. Le hibou s'envole. C'est l'instant

Où l'on songe aux récits des aïeules naïves...

Sous un fourré, là-bas, là-bas, des sources vives

Font un bruit d'assassins postés se concertant.

-

Pensée, espoir serein, ambition sublime,

Tout, jusqu'au souvenir, tout s'envole, tout fuit,

-

 

Mais quand elle aimait, des flots de luxure

Débordaient, ainsi que d'une blessure

Sort un sang vermeil qui fume et qui bout,

De ce corps cruel que son crime absout:

Le torrent rompait les digues de l'âme,

Noyait la pensée, et bouleversait

Tout sur son passage, et rebondissait

Souple et dévorant comme de la flamme,

Et puis se glaçait.

-

Il faut nous séparer. Jusqu'aux jours plus propices

Ou nous réunira l'Art, notre maître, adieu,

Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices!

Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu.

-

—Car toujours nous t'avons fixée, ô Poésie,

Notre astre unique et notre unique passion,

T'ayant seule pour guide et compagne choisie,

Mère, et nous méfiant de l'Inspiration.

-

Ce qu'il nous faut, à nous, c'est, aux lueurs des lampes,

La science conquise et le sommeil dompté,

C'est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,

C'est l'Obstination et c'est la Volonté!

-

Ce qu'il nous faut à nous, c'est l'étude sans trêve,

C'est l'effort inouï, le combat non pareil,

C'est la nuit, l'âpre nuit du travail, d'où se lève

Lentement, lentement, l'Oeuvre, ainsi qu'un soleil!

-

Pauvres gens! l'Art n'est pas d'éparpiller son âme:

-

Jeudi 8 juillet 2010 à 4:24

filiation.ens-lsh.fr/co/default.htm

Renvoi plutôt intéressant sur la notion de "chef-d'oeuvre", richement synthétisée. A mon sens, ce genre d'étude très normalienne ne fait que creuser (inutilement) le fossé écrasant qui existe malheureusement entre doxa (non au sens bourgeois qu'a développé Barthes mais dans une acception actuelle plus 'populaire') et recherche. Le site est très "ENS LSH" mais fait une piqûre de rappel sur quelques bons textes délicieusement virulents à relire (je pense notamment à "pour en finir avec les chefs-d'oeuvre" d'Artaud !).

Lundi 5 juillet 2010 à 0:43

Dans la simplicité de l'instant, à l'écoute de l'Ellens Gesang III, je songe au tourbillon que vous avez semé dans ma vie ce soir guidée par une plénitude inattendue. Pourquoi me retiendrais-je d'inscrire les notions fuyantes qui parsèment mon esprit? Afin, peut-être, de vous écrire des lignes trop intelligibles pour être réellement inspirées. Je me délivre alors des carcans quotidiens pour accéder à l'interdit de la pensée, à ce qui m'est refusé et aux écueils qui me font renoncer à exprimer mon sentiment trop prégnant. Ce monstre intérieur à qui vous donnez forme n'a qu'à se laisser guider par l'impulsion somatique, instinct précaire de la pensée qui prend essence dans un ventre bourdonnant. Vibrant à votre image, aux montées que la mémoire ressaisit et chamboule pour s'en accaparer sans n'en rien manquer. Aux descentes qui signent la perte dans une fuite redoutée. Je suis cet inconnue qui attend immobile et chancelant à la fois vos horaires et habitudes. Des heures durant, je m'élève à vos humeurs et provocations, m'adapte à vos absences pour jouir de vos retours. Éclaircies automatiques que je n'explique plus. C'est pour ces moments de glissement que ma patience s'active quotidiennement, dans l'idée de ces passages qui me rassurent. S'ils ne sont qu'abstractions vaines, mon trésor reste la certitude d'avoir trouvé l'unique Muse au pouvoir délicieux de l'exultation. Loin des illusions concrètes dans lesquels se noient ces autres desquels je vous figure éloignée. Je dresse le soir venu ces récits hermétiques afin de cloisonner ce que vous m'inspirez, ce qui n'est que mien, que vôtre, que nôtre dans une réunion mélodieuse. Appelez-moi folle, j'aime. J'apprends la valeur de ce qu'il ne faut pas perdre; au crépuscule de mes mots se forment vos signaux et dans ce pallier souvent semé de doutes, je trouve enfin ma force.

http://etherial.cowblog.fr/images/314211489391835201124612198413812506210387n.jpgDelacroix, Madeleine dans le désert

Lundi 5 juillet 2010 à 0:22

"C’est un trou d’aiguille à la pellicule de civilisation qui nous cache le pandémonium dont notre vanité suppose que des cloisons d’univers nous séparent. Le redoutable moraliste des Diaboliques n’a voulu que cela, un trou d’aiguille, assuré que l’enfer est plus effrayant à voir ainsi que par de vastes embrasures."

Bloy à propos des Diaboliques de Barbey.
Extrait de Un Brelan d’Excommuniés Editions Albert Savigne, 1889.

http://etherial.cowblog.fr/images/Diaboliquesmanuscrit.jpgmanuscrit des Diaboliques


Dimanche 4 juillet 2010 à 21:16

Premier dimanche de juillet. Les journées ont un goût tellement nouveau désormais, une saveur, une substance vitale tout à fait neuve. Mais puisqu'il s'agit dès à présent de "plonger au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau", je dois faire mes preuves en m'imposant une nouvelle rigueur: pas de folle avancée vers la redécouverte de ce qui m'entoure sans une mise à jour d'un passé que déjà je ne reconnais plus. Tri des photos, des écrits en vrac, des contacts. Cela ne prend qu'une heure, juste assez de temps pour me rendre compte que mon histoire personnelle ne m'appartient plus réellement. Je m'échappe doucement des emprises pour goûter au populaire ou au savant, aux évènements extérieurs dans leur abondance afin de m'éloigner quelque part un peu plus de toute cette merde qui m'emprisonne. Je veux profiter de ce qui fait pathétiquement plaisir aux autres, comprendre enfin leurs joies ponctuelles, leurs passions frivoles, leurs volontés sérieuses. Je veux connaître cette race humaine que je n'observais il n'y pas si longtemps qu'avec dégoût, la sachant capable du pire, l'interroger, la cerner, afin de m'y mêler, peut-être.

http://etherial.cowblog.fr/images/ENSUlmcourErnestsDSC00106.jpg
cours de l'ENS Ulm

<< Page précédente | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | Page suivante >>

Créer un podcast